Lors de mes diverses formations en médiation animale, comportementaliste canin et en relation d’aide, j’ai pu mesurer l’importance d’un concept à mon sens clé dans les relations Humain-Animal : le lien d’attachement. Mes observations sur le terrain, notamment en refuge, sont venues confirmer les contenus théoriques que j’ai pu étudier.
Les animaux qui arrivent en refuge ont indéniablement subi un traumatisme et le refuge en lui-même, par sa configuration, est souvent un lieu anxiogène qui rend complexe l’apaisement de ce trauma. La réparation de ces animaux va être conditionné par la capacité à créer un lien d’attachement sécure dans un premier temps, avec leurs soignants, et dans un deuxième temps avec leur famille d’adoption.
Mais les personnes qui œuvrent dans le secteur animalier ne sont pas non plus neutres, et possèdent leur propre lien d’attachement, conditionné par leur vécu dans l’enfance, et leur style d’attachement va évidemment conditionner leur modalité de prise en charge, de « maternage » ou « parentage » dans leur mission de soins auprès des animaux.
Le lien d’attachement, c’est un peu une pierre angulaire dans le bien-être humain, mais aussi dans celui de nos animaux de compagnie, notamment le chien qui est une espèce sociale +++. Pour en mesurer l’importance, commençons par un peu de théorie.
PARTIE 1 – LA THEORIE DE L’ATTACHEMENT
Si nous devons la théorie de l’attachement à John BOWLBY, psychiatre et psychanalyste anglais (1907-1990), ces travaux de recherches se basent sur ceux de ces prédécesseurs, tant dans le champ de la psychologie que de l’éthologie.
L’éthologie
Konrad Lorenz (1903-1989), père fondateur de l’éthologie objectiviste, a décrit dans les années 30 le phénomène d’empreinte ou d’imprégnation suite à ces expériences avec des oies cendrées. L'empreinte peut être définie comme un processus d'attachement social et de reconnaissance de son espèce. Une empreinte (ou imprégnation) est en éthologie et en psychologie la mise en place, définitive, d’un lien entre un déclencheur extérieur et un comportement instinctif. Cette mise en place n’étant pas commandée par un déterminisme biologique très spécifique (comme un lien de parenté, une odeur) mais au contraire par des circonstances. Cette forme d’apprentissage s’oppose au dogme central du béhaviorisme classique que Konrad Lorenz critiqua ardemment.
Les expériences de Lorenz ont permis d’interroger l’imprégnation interespèce. Les oisons ont en effet « adopté » comme figure d’attachement le chercheur, ce dernier ayant assisté à l’éclosion des oisons, même si il a tenté par la suite de les replacer aux côtés de leur mère.
Par définition l’empreinte est la capacité d’acquisition rapide de façon permanente par un juvénile des caractéristiques d’une forme spécifique qui orientera les conduites ultérieures (lien affectif, choix du partenaire sexuel…). Konrad Lorenz décrit ce comportement dans les années trente par une suite d’expérimentations, notamment avec ses célèbres « oies de Lorenz ».
La Psychologie
René Spitz (1887-1974), psychiatre et psychanalyste américain, a, par ses travaux de recherche, alerté les professionnels et l’opinion publique sur la situation des enfants élevés en institution. Ses observations empiriques de nourrissons abandonnés et placés dans une institution dites « pouponnières » en 1946 ont permis la création du terme Hospitalisme. Il décrit la « dépression anaclitique » (carence affective partielle) chez ces enfants séparés pendant le deuxième semestre de vie. Quand la séparation se prolonge, on observe une évolution vers un état de marasme, physique et psychique, que Spitz appelle « hospitalisme » (carence affective totale). La mort survient alors chez plus d’un tiers des enfants.
R. Spitz a créé le terme d'hospitalisme pour décrire l'altération du corps liée à un long séjour dans un hôpital ou aux effets nocifs du placement en institution durant le premier âge. Cette dernière situation se caractérise par une interruption de la relation déjà instaurée entre la mère et l'enfant, par une insuffisance dans les échanges affectifs nouveaux et les stimulations (substitut maternel peu satisfaisant ou substituts multiples) et par une difficulté pour le sujet à s'identifier à une image stable. Elle entraîne, selon Spitz, des troubles carentiels (quelle que soit la qualité des soins physiques, physiologiques ou médicaux) qui comportent deux degrés. La privation partielle d'affects, quand elle survient après six mois de bonnes relations avec la mère, conduit à un tableau clinique de « dépression anaclitique », allant de réactions d'angoisse à un arrêt du développement, puis à un état de léthargie après le troisième mois de séparation. J. Bowlby rapproche ce tableau des syndromes dépressifs (avec inhibition, inertie, solitude, manque d'intérêt pour le monde extérieur). Ces troubles disparaissent rapidement si l'enfant retrouve sa mère entre le troisième et le cinquième mois de la séparation. Dans le cas d'une carence totale en affects, si la séparation a été plus précoce et si la restitution à la mère n'intervient pas, les stades du syndrome partiel évoluent en un retard moteur grave, en un état de « marasme » qui évoque le tableau clinique de l'encéphalopathie ou de l'arriération, état qui peut être irréversible et même conduire à la mort.
Harry Harlot (1905-1981), psychologue et éthologiste américain, est connu pour ses expériences de mise en isolement social de jeunes macaques rhésus en 1958. Ces expériences, éthiquement critiquables, ont mis en évidence l’importance de l’attachement à la mère dans le développement des primates.
Ses études cherchent à pousser les recherches entreprises par René Spitz qui avait montré les retards que peuvent provoquer des situations d’abandon sur les nourrissons. Dans un premier temps, il sépare des petits macaques de leurs mères à différentes périodes de leur développement, à la naissance, ou à partir de 3, 6, 12 et jusqu’à 24 mois, il les laisse en totale isolation et hors de tout contact avec leurs semblables. Bien que restant en parfaite santé physique à leur réinsertion auprès de leurs congénères ils sont généralement en état de choc émotionnel, caractérisé par des attitudes autistiques, et un anéantissement de leurs interactions sociales (pas d’interaction, de jeu ni d’intérêt sexuel).
Il tenta ensuite de proposer des alternatives pour tenter d’isoler le facteur déclenchant de cette désocialisation. Le principe était de séparer les nouveau-nés de leurs mères et de les placer en présence de deux substituts maternels, l’un en grillage simple, mais fournissant du lait, l’autre recouvert d’un tissu et contenant une source de chaleur. Les petits préféraient se blottir contre le deuxième, quitte à s’étendre pour se nourrir sur le premier. Cette expérience s’est opposée à l’interprétation la plus courante de l’époque qui, sans renier le rôle du contact physique, donnait jusqu’alors une fonction primordiale à la fonction alimentaire. Outre leur portée scientifique, ces travaux visent à choquer l’opinion pour forcer la prise de conscience. Ces méthodes ont été condamnées par de nombreux défenseurs de la cause animale.
Donald Winnicott (1896-1971) pédiatre psychanalyste britannique, insiste lui aussi sur l’impossibilité d’isoler le nourrisson de son environnement, et l’importance de la préoccupation maternelle primaire, la mère (ou son substitut) s’adaptant aux premiers besoins du nouveau-né. Sous les concepts de Holding et Handling, il insiste sur l’importance du portage physique et psychique de l’enfant, et des manipulations/soins apportés à son corps. La « mère suffisamment bonne » participe pleinement à la structuration du Moi précoce de l’enfant.
John Bowlby (1907-1990), psychiatre et psychanalyste britannique élabore la Théorie de l’attachement dans les années 50. Il s’agit d’un « processus comportemental permettant la survie de l’individu » C’est un besoin primaire, inné, indépendant des autres besoins comme les besoins alimentaires. Comme le souligne Claude Béata « Que nous soyons humain, chien, chat ou autre animal développé dans l’attachement, nous connaissons la force de l’attachement maternel qui nous a permis de survivre. C’est bien le but primitif de ce lien : la protection du nouveau-né puis du petit contre les prédateurs, contre sa propre insouciance, contre tous les dangers de la vie. »[1]
Il permet la constitution d’une base de sécurité pour l’enfant, qui va lui permettre d’explorer le monde extérieur en toute sécurité. L’attachement a également une fonction de socialisation. L’enfant apprend à communiquer avec ses caregivers, et cela permettra ensuite de communiquer avec d’autres individus. Ce mécanisme a donc une double fonction de protection et d’accession à l’autonomie.
Le niveau de confiance vis-à-vis de la figure d’attachement établie par :
- L’accessibilité
- La disponibilité
- L’apport d’affection
- la fonction de base de sécurité qu’apporte à son enfant la figure d’attachement
Toute personne qui s’engage dans une interaction sociale durable avec l’enfant et qui répond aux besoins de réconfort de l’enfant lorsque celui-ci est stressé est susceptible de devenir une figure d’attachement.
Mary Ainsworth (1913-1999), psychologue du développement canadienne et collaboratrice de John Bolwy, va quant à elle distinguer différents types d’attachement dans les années 70, que l’on évoque très fréquemment dans la théorie de l’attachement :
Il existe donc des troubles de l’attachement, allant du trouble de non-attachement aux troubles de la base de sécurité, et aux ruptures du lien d’attachement lors de deuil ou de séparation par exemple.
Une fois cette partie théorique posée, nous commençons à y voir plus clair quant au rôle du lien d’attachement en refuges animaliers, tant du côté des humains que du côté des animaux, puisque nous avons à faire ici à d’autres mammifères sociaux à qui s’appliquent une grande partie de cette théorie.
Nous explorerons le lien d'attachement du côté des animaux dans mon prochain article.
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Réale
1 Claude Béata « La Force, la Beauté et le risque d’aimer : l’attachement tuteur de résilience », L’enfant et l’Animal une relation singulière, sous la direction Boris Cyrulnik et Sandie Belair, Paris, Philippe Duval, 202, p. 30.
Ethik Animara
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