Article 
 Le défi du maintien des vocations en refuges animaliers

Ce mois-ci, j'ai mis le focus sur les 4 phases de la PA de Douglas FAKKEMA, et montré à quel point perdurer dans ces missions de Protection Animale n’était ni linéaire, ni aisé. Cet article poursuit la réflexion à ce sujet.

J’ai déjà abordé le fait que les métiers du secteur animalier sont en général des métiers de vocation nourris pas un besoin impérieux d’aider les autres. Maintenir les vocations peut être un défi particulièrement intense car cela implique un travail enraciné dans les valeurs des personnes, constitutives de leur identité. 

Des études récentes ont mis en évidence les difficultés que j'ai déjà évoqué dans ces métiers de vocation : la fatigue compassionnelle, et le sentiment de violation des valeurs, vécu comme des blessures morales. Parce qu'une vocation est souvent ancrée dans de fortes croyances idéologiques, les individus peuvent éprouver une tension douloureuse entre leurs valeurs et les réalités du travail. Ce point est crucial pour comprendre le fonctionnement de la vie en refuge, et j’ai fait un focus là-dessus lors de ma conférence sur le Bien-Être Humain au Congrès Pet Revolution. Au nom de cette vocation, les personnes peuvent sacrifier leur bien-être et leur temps personnel pour la cause.

Kira SCHABRAM de l’université de Washington, et Sally MAITLIS de l’université d’Oxford[1], se sont interrogées sur la manière dont les personnes engagées en refuges animaliers maintiennent leurs vocations face au défi quotidien de la souffrance animale. Ces chercheuses relatent les réactions émotionnelles liées à cette exposition, et comment les personnes en refuge tentent de maintenir un sens à leur activité. 

Pour ce faire, 50 entretiens ont été menés à travers les refuges aux Etats-Unis, et les universitaires ont identifié trois parcours différents qui évoluent en fonction des réponses apportées aux défis rencontrés en refuge. Ces 3 parcours aboutissent à des résultats émotionnels, psychologiques et comportementaux totalement différents. Et vous vous reconnaîtrez probablement dans l’un d’entre eux 😉

Avant de présenter les 3 parcours, toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont évoqué des conditions de travail difficiles, la confrontation à des incivilités, à un public exigeant, et un manque général de formation et de soutien dans un marathon quotidien qui pourrait avoir comme devise « marche ou crève ». Elles ont aussi très tôt été confrontées à un sentiment d’injustice face aux euthanasies quand il y en avait, et cela les a profondément choqués. D’autres défis sont arrivés au fils du temps : management déficient, ambiance de travail dégradée, manque de moyens financiers, la législation locale ou encore l’apathie du public.

  1. Un premier parcours « orienté vers l’identité »

Les chercheuses ont identifié un premier parcours qu’elles ont qualifié d’"orienté vers l'identité" pour décrire la façon dont les individus ont réagi aux défis et maintenu leur vocation en préservant le sens de leur investissement auprès des animaux. 

Au commencement, notons que ces personnes ont ressenti très tôt leur vocation de travailler auprès des animaux. Dès leur plus jeune âge, elles ont exprimé leur souhait de s’investir dans un métier leur permettant de prendre soin d’eux. C’est leur voie, leur ADN en quelque sorte, et le métier en refuge, c’est comme un rêve qui devient réalité. Mais une fois en refuge, la confrontation avec la réalité va venir percuter la vision idyllique du travail aux côtés des animaux. Un fossé entre le rêve et la réalité se creuse, alimenté par les euthanasies et la confrontation quotidienne à la souffrance animale. Une grande confusion s’installe, avec des émotions si intenses et des sentiments si destructeurs qu’ils égrainent le sens même du métier. « Mais qu’est-ce que je fous là ? » est revenu plusieurs fois dans les entretiens. 

  1. Un deuxième parcours axé sur la contribution

Le deuxième parcours, « orienté vers la contribution » correspond aux personnes qui souhaitent utiliser leurs compétences pour impacter positivement le monde. Leur vocation est liée à la volonté de contribuer. 

Au démarrage, les participants axés sur la contribution sont entrés dans le travail dans les refuges en voulant « avoir un impact positif » sur une noble cause, et en croyant pouvoir le faire grâce à leurs compétences professionnelles (par exemple, diplômes en commerce, vétérinaire, éducation canine…). Ces personnes attendaient avec impatience d’entrer dans des refuges où elles pourraient « apporter leur intelligence et passion tout autant que leur sens critique et analytique » La notion de performance est très présente chez elles. Toutefois, elles relatent que travailler en refuge a été un « choc culturel » notamment du fait du soutien très limité des supérieurs hiérarchiques, et de la surcharge de travail à tous les niveaux. La confrontation avec l’euthanasie a été particulièrement douloureuse, et elles ont relaté n’y être pas préparées.

Un troisième parcours « orienté vers la pratique »

Dans cette 3ème voie, la réponse aux défis va permettre aux personnes d'apprendre leur métier-vocation, en s'engageant dans des actions et en développant des relations qui les ont amenés à devenir des praticiens compétents dans le domaine du bien-être animal.

Ces personnes, si elles sont passionnées d’animaux et désireuses d’œuvrer pour améliorer leur condition comme les précédentes, ne considèrent pas pour autant avoir des dons ou des compétences spécifiques à cette mission, contrairement aux deux autres groupes. Aider les animaux a toujours été une passion chez ces personnes qui sont entrées dans la profession avec moins d’attentes que leurs homologues. Elles ne s'attendaient pas à ce que le refuge soit parfait, et ne se considéraient pas comme particulièrement bien équipés pour l’améliorer. A leur arrivée en refuge, elles ont été surprises par le peu d’organisation et le manque de formation.  Interprétant les défis comme des occasions de se perfectionner et d’apprendre, ces individus ont abordé ces situations difficiles comme des opportunités de mettre en pratique de nouvelles compétences et de renforcer leurs capacités.

ON NE SPOILE PAS LA SUITE !

Vous vous êtes probablement reconnus (vous ou vos collègues) dans un de ces trois profils. Vous souhaitez connaître l’évolution du parcours de chacun de ces profils ? On vous dira tout dans le Podcast à venir😉

Sans spoiler, on peut simplement dire que certains participants ont vu les défis comme des menaces à leur identité et objectif de vie, tandis que d’autres les ont considérés comme des opportunités de développement personnel et professionnel. 

Pourquoi aborder cette étude avec vous ? 

  • Tout d’abord, cela permet à chaque personne investie en refuge de s’interroger sur sa vocation, son cheminement dans cette vocation, ses motivations, ses réponses aux défis rencontrés et les stratégies adoptées pour faire face à l’intense charge émotionnelle du métier. Peut-être vous êtes-vous identifiés à l’un des trois parcours décrit dans cette étude. Mieux se connaître, c’est être à même de mieux faire perdurer sa vocation dans le secteur animalier en adoptant la stratégie d’adaptation qui nous convient le mieux et nous préserve le plus.
  • Ensuite, à l’échelle des associations, cela permet de mieux appréhender les profils des personnes investies en refuge, et ainsi de mieux les accompagner dans un maintien émotionnellement stable de leur vocation. Profiler les personnes en refuges permet une plus grande rétention de ces précieuses vocations, la protection animale ne pouvant pas se permettre, comme tout secteur d’aide, de perdre un grand nombre de personnes animées par l’envie d’aider les animaux et d’améliorer leur sort. 

J’espère que cet article ouvre des pistes de réflexion sur votre engagement, ou celui de vos équipes, dans vos refuges. Mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement des uns et des autres dans cet écosystème, c’est mieux Agir pour faire perdurer les vocations auprès des animaux. Et vous savez oh combien ces vocations sont précieuses !

A bientôt pour le Podcast !

Réale

[1]MAITLIS Sally, SCHABRAM Kira, « Negotiating the challenges of a calling : Emotion and Enacted Sensemaking in animal shelter work, » in Academy of Management Journal, 2017, vol.60, No.2, p. 584-609.

 

Nous avons besoin de votre consentement pour charger les traductions

Nous utilisons un service tiers pour traduire le contenu du site web qui peut collecter des données sur votre activité. Veuillez consulter les détails dans la politique de confidentialité et accepter le service pour voir les traductions.